29 mars 2012 Ln Arnal 5Comment
Cet article est le 3 e de 10 dans la série La vie des scientifiques sur (grand) écran
Temps de lecture estimé : 4 minutes

Cette semaine sort le film Pirates ! Bon à rien, mauvais en tout. Si le titre peut faire craindre sur la qualité du film (rajouté à cela que c’est en 3D), il n’en est rien quand on regarde de plus près. Il s’agit du nouveau film d’animation en pâte à modeler des créateurs de Chicken Run et Wallace et Gommit. D’un coup, on est rassuré. Et quand on voit le titre anglais original : The Pirates! In an Adventure with Scientists, on se dit qu’on a toutes les raisons du monde de s’y intéresser. Le premier scientifique rencontré par nos amis pirates est Charles Darwin. Mais ce film n’est pas le seul à s’intéresser à Darwin. Ainsi, suivant la tendance de ces dernières années sur les biopics, Charles a eut le droit au sien avec Paul Bettany dans le rôle principal. Le film s’appelle Création au cinéma mais le DVD français sorti aux éditions TF1Video s’intitule Au commencement (faut avouer que ça n’aide pas la recherche du spectateur désireux de voir ce film).

Quand on s’attarde sur les critiques du film, on se rend vite compte qu’elles sont plus que mitigées. Il est vrai que si on dit biopic de Darwin, on peut s’attendre à le voir jeune homme fringuant voguant sur les mers, parcourant les Galápagos… ou en vieil homme à la grande barbe défendant sa théorie (ce qu’il fit peu, se considérant comme étant un mauvais orateur). Bref de quoi être déçu par ce film intimiste qui nous présente un Darwin père de famille malade et dans sa relation privilégier avec sa fille aînée. En fait, le film présente le questionnement de Darwin vis-à-vis de sa foi face à sa découverte. Pour bien comprendre, il faut se souvenir qu’avant d’embarquer sur le Beagle, le jeune Charles se destinait à la prêtrise et qu’il aboutit à l’idée de sélection naturelle à son retour en Angleterre. Il mettra 20 ans à rendre publique son idée et devant la pression de se faire devancer par le jeune Wallace en 1858.

Comme on le voit dans le film, il utilisera ces 20 années pour amasser de nouvelles preuves (sélection de pigeon) mais également se soigner d’une maladie chronique. Enfin, le film se penche sur le chemin psychologique de l’acceptation du fait scientifique de l’évolution, de la lutte pour la survie (enfin plutôt la reproduction) et la place toute relative de l’homme dans la nature. En fait si scientifiquement, l’idée est facilement acceptable et démontrable (d’ailleurs, il n’y a pas de réel débat sur la validité de la théorie, les faits sont là et la théorie est simple et explique convenablement les faits), son acceptation plus philosophique ou intime est plus compliqué. Je dois avouer l’avoir ressentie lors de mes études d’évolution. J’ai toujours été éduqué dans l’idée que l’homme est animal comme les autres, que les êtres vivants se sont adapté à leur environnement au cours du temps via, en autre, la sélection naturelle. Mais voilà, à bien y réfléchir, inconsciemment, je mettais l’homme comme un être légèrement supérieur ou qui s’était affranchi de sa nature animal par la société et extrait de la sélection naturelle. Oui, mais la théorie darwinienne vient nous remettre à notre place. Et c’est dur à avaler.

Dans L’Eventail du vivant, Stephen Jay Gould nous parle de Freud et de trois révolutions scientifiques qui ont ébranlé notre amour propre :

« J’ai souvent eu l’occasion de citer cette observation pénétrante, presque désolée, de Freud selon laquelle toutes les grandes révolutions survenues dans l’histoire de la science ont en commun, par-delà leur diversité, d’avoir porté un coup sévère à ce que les précédentes avaient épargné de notre arrogance cosmique. Freud mentionne trois exemples. Nous pensions vivre sur le corps sur le corps central d’un univers limité lorsque Copernic, Galilée et Newton révélèrent que la Terre n’est qu’un minuscule satellite d’une étoile secondaire. Nous nous étions alors rassurés en imaginant que Dieu avait néanmoins choisi ce lieu excentré pour créer un organisme unique à Son image quand Darwin vint « nous reléguer au rang de descendant du monde animal ». Nous avions alors trouvé consolation dans la rationalité de notre esprit lorsque, ainsi que le note Freud dans l’une des moins modestes affirmations de l’histoire de l’intelligence, la psychologie découvrit l’inconscient. » (Ch2 p29)

Et Gould rajoute un peu plus loin une quatrième liée à notre temps très court de présence dans l’histoire de l’univers (ou même que de la Terre) :

« si nous ne sommes qu’un minuscule rameau du luxuriant buisson de la vie et si ce rameau vient seulement d’émerger à l’échelle des temps géologiques, peut-être alors ne sommes-nous pas le résultat prévisible d’un processus fondamentalement progressif (la fameuse tendance au progrès dans l’histoire de la vie) ; peut-être sommes-nous, quels que soient nos titres de gloire et nos accomplissements, un éphémère accident cosmique qui ne se reproduirait pas si l’on replantait la graine de la vie en la laissant se développer dans ces conditions similaires. » (Ch2 p30)

Bref, nous, occidentaux, avons du mal avec la modestie que nous enseigne la Science qui se fout de nos états d’âmes.


Avant de finir, je voudrais revenir sur la relation de Charles avec sa fille Annie. Personnellement, je prends ses hallucinations d’elle (qui arrivent assez tôt dans le film, si ce n’est dès début) comme une incarnation de la Science qui lui rappelle sans cesse quelle vérité, il a découverte et qu’il doit faire face aux conséquences qu’elle implique vis-à-vis de sa vision du monde. Et c’est qu’est la clé du vrai sujet du film.

En conclusion, je trouve ce film particulièrement intéressant par ce combat internet de Darwin entre sa croyance première et l’obligation, entant qu’homme de science, d’accepter la réalité scientifique. En cela le film réussi son propos, et son rythme lent convient parfaitement. Et il permet d’entamer une réflexion ou un débat (selon qu’on est seul ou non) autour de ce combat. Amis lecteurs, scientifique ou non, avez-vous ressenti un jour ce combat interne entre vos croyances (inconsciente ou non) et la réalité des faits scientifiques ?

Logarithme népérien

Création (Creation), 2009
Réalisé par Jon Amiel
Avec Paul Bettany, Jennifer Connelly, Jeremy Northam…
Film britannique
Durée 1h48

Note perso

Et la bande annonce en VOST:

5 thoughts on “La Science se fout de nos états d’âme

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