30 octobre 2015 Ln Arnal 3Comment
Cet article est le 9 e de 15 dans la série Les vampires (et autres monstres) à la lumière de la Science
Temps de lecture estimé : 6 minutes

Cet article est basé sur un article déjà publié mais il est enrichie et retravaillé pour mieux correspondre aux articles actuellement mis en ligne.

En cette année 2015, nous célébrons le centenaire du génocide arménien et la fin de la seconde guerre mondiale avec en particuliers la libération des camps de concentrations et d’extermination. Ces deux événements ont démontré les atrocités dont les humains sont capables. Si les actes commis sont condamnées par la majorité des gens, il est intéressant de se souvenir qu’ils ont été commis par des personnes ordinaires ne semblant pas présenter de tendance au sadisme. La philosophe Hannah Arendt a proposé le concept de banalité du mal, où dans un système où les pires horreurs sont acceptés et encouragés, il est très facile de ne plus se rendre compte de ce que l’on fait. A travers deux films et deux expériences comportementales, nous allons explorer cette facette de l’être humain.

Peu de films autour de la seconde guerre mondiale se demandent comment des gens normaux ont pu laisser leur pays entier perpétrer des crimes pareils. Comment ils ne voyaient pas les camps et n’étaient révoltés par ceux-ci. Un film montre la prise de conscience d’un citoyen autrichien face à cette barbarie. C’est La liste de Schindler. Dans ce film, on voit un homme d’affaire opportuniste s’enrichir sur le dos des prisonniers juifs avant d’essayer d’en sauver le plus possible, après avoir été témoin des atrocités commises dans le ghetto de Cracovie et dans le camp de Płaszów. Ce film est tiré d’une histoire vraie.

La science s’est posé cette question et une expérience de psychologie de Stanley Milgram donne une explication assez… surprenante. En effet cette expérience démontre que l’être humain se soumet très facilement à l’autorité et, tant qu’on lui en donne l’ordre, peut commettre à peu près n’importe quoi.

L’expérience

L’expérience en deux mots : des volontaires sont payé pour vérifier de l’efficacité de punition (décharge électrique) dans l’apprentissage. Le sujet se retrouve à devoir infliger des chocs électriques de plus en plus forts à un apprenant. Il est supervisé par un expérimentateur qui le pousse à continuer bien que le choc est de plus en plus fort et devient dangereux. Tout un protocole est mis en place pour que le sujet croie qu’il s’agit d’une expérience sur l’apprentissage et qu’il aurait pu être l’apprenant (tirage truqué) et un protocole où les réponses fausses de l’apprenant sont sanctionnées par une décharge électrique de plus en plus forte.

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L’expérimentateur (E) amène le sujet (S) à infliger des chocs électriques à un autre participant, l’apprenant (A), qui est en fait un acteur. La majorité des participants continuent à infliger les chocs jusqu’au maximum prévu (450 V) en dépit des plaintes de l’acteur. (CC BY-SA 3.0 Paulr)

L’apprenant et l’expérimentateur étant des acteurs, ils devaient suivre un scénario. Ainsi les réactions de l’apprenant aux décharges (fictives) de plus en plus fortes sont progressives de gémissements (à 75 volts) à des hurlements (à 135 volts). A 150 volts, l’apprenant supplie qu’on le libère puis décide de ne plus répondre à 300 volts. Le sujet doit lui dire que l’absence de réponse est considérée comme une réponse fausse. L’expérimentateur doit pousser le sujet à continuer à augmenter la dose et quand ce dernier exprime le désir d’arrêter l’expérience, il lui adresse, dans l’ordre, ces réponses :

  1. « Veuillez continuer s’il vous plaît. »
  2. « L’expérience exige que vous continuiez. »
  3. « Il est absolument indispensable que vous continuiez. »
  4. « Vous n’avez pas le choix, vous devez»

Si le sujet souhaite toujours s’arrêter après ces quatre interventions, l’expérience est interrompue. Sinon, elle prend fin quand le sujet a administré trois décharges maximales (450 volts) à l’aide des manettes intitulées XXX situées après celles faisant mention de Attention, choc dangereux.

Après la fin ou l’arrêt de l’expérience, le sujet répond à un questionnaire et à un entretien au cours duquel il est rassuré qu’aucun choc n était réel et que son comportement est normal et en rien sadique. Un an après le sujet recevait un nouveau questionnaire ainsi que les résultats complet de l’étude.

Plusieurs variantes de l’expérience existent pour mesurer différents facteurs. Par exemple pour tester la proximité de l’apprenant et du sujet, l’apprenant est normalement dans une pièce proche à mince cloison, le sujet le voyant et l’entendant. Dans les variantes, le sujet pouvait être dans la même pièce, devoir même obliger physiquement l’apprenant à recevoir les chocs (bloquer les bras de celui-ci sur les électrodes) ou au contraire ne voir les réponses que sur un moniteur (il entend uniquement tambouriner lors des chocs les plus élevés). Dans certain cas l’expérimentateur n’est pas dans la pièce et parfois sensé être dans une autre ville et uniquement au téléphone. Il pouvait y avoir plusieurs expérimentateurs dont l’un s’opposant à la poursuite de l’expérience…

Les résultats

Les résultats sont surprenants (et terrifiant) 65% des volontaires allaient jusqu’à aux doses maximales de choc électrique bien que la majorité des sujets manifestent des doutes et interrogent l’expérimentateur qui est à leur côté au stade de 150 volts (quand l’apprenant demande à être libéré). Quand l’autorité est absence, ce taux descend à 20% mais quand le sujet dit simplement si la réponse est bonne ou non et quelqu’un d’autre manœuvre les manettes pour administrer les chocs, ce taux monte à 92,5% (le plus haut taux observé). Même lorsque le volontaire n’est que spectateur, bien qu’il désapprouve toujours verbalement, 68,75% des volontaires ne quittent pas la pièce ou ne s’interposent pas physiquement. Les sujets se révoltent bien plus dès qu’une personne (autre que l’apprenant) se révolte et s’oppose à l’expérience.

Milgram tire de ces résultats et des entretiens un livre. Il propose ainsi une analyse détaillée du phénomène de soumission. Il se place dans un cadre évolutionniste et théorise que l’obéissance est un comportement inhérent à la vie en société et de l’intégration d’un individu dans une hiérarchie. L’être humain passe alors du mode autonome au mode systématique où il devient l’agent de l’autorité. Stanley Milgram s’oppose fortement aux interprétations qui voudraient expliquer les résultats expérimentaux par l’agressivité interne des sujets. Une variante met d’ailleurs en évidence cela, où le sujet était libre de définir le niveau d’intensité. Ici, seule une personne sur les quarante a utilisé le niveau maximal.

Milgram ne considère pas l’obéissance comme un mal mais comme un bien nécessaire à la vie en société. Par contre elle devient dangereuse quand elle s’oppose à la conscience de l’individu, c’est à dire une obéissance aveugle. Les variantes avec plusieurs pairs ont montré que si l’obéissance entre en conflit avec la conscience de l’individu et que le conformisme « impose » à l’individu de ne pas obéir, il se range souvent du côté du groupe. Ainsi, si l’obéissance aveugle d’un groupe veut être assurée, il faut faire en sorte que la majorité de ses membres adhère aux buts de l’autorité.

Critiques de l’expérience et répliques

Cette expérience a assez été critiquée pour des raisons éthiques que dans les conclusions de Milgram. La principale critique éthique est l’état profond de stress dans lequel étaient les sujets pendant l’expérience. Mais la grande majorité de ceux ayant participé sont satisfait voir très satisfait d’avoir participé à l’expérience et les autres avaient un avis neutre. Un autre souci est de savoir si les sujets ont bien été dupé par la mise en scène de l’expérience d’apprentissage ou s’ils se doutaient du but réel de l’expérience et ont alors agit dans le sens qu’ils pensaient attendu par les scientifiques.

Une autre critique est la généralisation qu’en tire Milgram (en particulier par rapport aux événements de la seconde guerre mondiale). L’expérience de Milgram ne dure qu’une heure, limitant les possibilités pour le sujet pour réfléchir. Le sujet savait outre mesure qu’aucun mal irréversible n’était fait. Enfin les sujets ne connaissait pas leur « victime » et ne leur vouait pas de haine particulière (racisme par exemple). Si certes l’expérience ne prétend pas explique les cas les plus emblématique de sadisme nazi (comme Göth, le directeur du camp dans le film), elle explique tous les rouages de l’administration qui ont permis l’échelle du massacre (comme Schindler au début du film qui ne s’intéresse pas trop à ce qui arrive aux juifs).

Enfin, l’expérience de Milgram a été reproduite à plusieurs reprises à travers les ans dans divers pays et avec des variantes. Mais les résultats concordaient avec les observations de Milgram. Si les résultats semblent être corrects, les explications de ce comportement sont encore discutées.

Pour en revenir au film, son image quasiment uniquement en noir et blanc pourrait apporter une certaine distance alors qu’il en est rien. Le spectateur se concentre alors sur les émotions véhiculées par l’histoire. Cela donne aussi un effet de réalisme, encrant l’histoire dans le réel, en donnant des images proches de la façon dont on se représente cette partie de l’histoire (dû aux nombreuses archives photographiques et vidéographiques en noir et blanc). Cela permet de faire ressortir également deux moments important, la prise de conscience d’Oskar Schindler (avec le manteau rouge de la fillette) et la reconnaissance des survivants encore vivant lors du tournage du film.

Le film Expérimenter revient sur cette expérience et sort en France le mercredi 18 novembre. L’expérience de Milgram est recréée dans le film I… comme Icare.

Nous continuerons cette exploration de cette facette de l’humain dans un deuxième article avec un autre film et une autre expérience.

Pour aller plus loin :

Le livre de Milgram, Expérience sur l’obéissance et la désobéissance à l’autorité
L’émission du Psylab autour de cette expérience

 

La liste de Schindler (Schindler’s List), 1993
Réalisé par Steven Spielberg
Avec Liam Neeson, Ben Kingsley, Ralph Fiennes…
Film américain
Durée 3h 15min

 

Note perso :

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La note des lecteurs :
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Et voici la bande annonce en vf:

La fiche Allociné La Liste de Schindler

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3 thoughts on “La liste de Schindler ou comment transformer quelqu’un en tortionnaire (1/2)

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