30 octobre 2015 Ln Arnal 1Comment
Cet article est le 10 e de 15 dans la série Les vampires (et autres monstres) à la lumière de la Science
Temps de lecture estimé : 7 minutes

Cet article est la deuxième partie d’un dytique d’articles et il est recommandé d’avoir lu la première partie avant de lire celle-ci.

1398885867_messagebox_warningCet article parle d’actes de tortures, même s’ils sont que succinctement présenté ici, certains liens peuvent mener à des descriptions et/ou des images plus complètes et pouvant choquer.

The experiment est le remake américain du film allemand Das Experiment (L’expérience). Dans le film, on suit un jeune homme pacifiste militant qui, pour gagner de l’argent, participe à une expérience rémunérée. Il rencontre les autres participants et fait connaissance avec certains. L’expérience recrée un pénitencier avec certains qui jouent les prisonniers et d’autres les gardiens. L’expérience doit durer quinze jours… Le film repose sur une célèbre expérience de psychologie sociale réalisé par Philip Zimbardo en 1971 à l’Université de Stanford sur les effets de la situation carcérale. Cette expérience est restée célèbre sous le nom de l’expérience de Stanford.

L’expérience de Stanford

Philip Zimbardo devait étudier les violences dans les prisons et voulu testé l’hypothèse que ces comportements venait de la surreprésentation de certains traits chez les prisonniers et les gardiens. Il recrutât 24 étudiants de l’université de Stanford qui étaient en bonne santé physique et mentale. Il recréât une prison dans le sous-sol du bâtiment de psychologie de l’université et partagea de façon aléatoire les volontaires entre 12 prisonniers et 12 gardiens. Si les gardiens étaient de garde en roulement, les prisonniers devaient rester dans la « prison » en permanence. Pour recréer la désorientation ressentit par de vrais prisonniers, certains éléments ont été mis en place comme le fait que les gardiens portaient des lunettes réfléchissantes pour empêcher les contacts des yeux d’un prisonnier avec ceux d’un gardien. Les prisonniers portaient une longue blouse sans sous-vêtements en dessous, des tongs en plastique et un bas sur la tête pour simuler un crâne rasé. Ils étaient appelés par un numéro qui était indiqué sur leur blouse.

La vieille de l’expérience, les gardiens avaient une réunion de formation mais ne reçurent pas de consigne formelle si ce n’est qu’aucune violence physique n’était autorisée. Le bon fonctionnement de la prison était leur responsabilité. Les prisonniers, de leur côté, devait attendre d’être prévenu du début de l’expérience mais furent arrêter chez eux par la police de Palo Alto et passèrent toute la procédure de « fichage » (prise d’empreintes digitale, de photos…) fouillés et menottés et emmenés à la prison dans des véhicules de police avec les sirènes.

L'expérience commence
L’expérience commence

La perte de contrôle et les résultats

Le premier jour s’est passé paisiblement, mais le deuxième jour une révolte éclate parmi les prisonniers. Des gardiens d’autres rotations se sont portés volontaires pour faire des heures supplémentaires pour aider les gardiens à arrêter la rébellion. La révolte fut cassée après l’usage d’extincteur et l’utilisation d’une tactique psychologique alors en usage dans les prisons américaines. Par la suite, les gardiens utilisèrent les comptages des prisonniers pour perpétrer des punitions violentes avec de longues périodes d’exercices forcés. Les prisonniers se voyaient régulièrement pas nourrit, priver de vêtements et d’hygiène de base (accès aux toilettes et aux douches)… Plus l’expérience avançait, plus les gardiens montraient des comportements sadiques, au final un tiers d’entre eux présentaient de vraie tendance sadique.

Plusieurs prisonniers ont ainsi présenté des troubles du comportement et même l’un d’entre eux a souffert d’eczémas mais seulement deux ont été écartés de l’expérience et remplacés dont l’un après 36 heures d’expérience. De plus les prisonniers avaient intégré leurs rôles puisqu’il leur fut offert une libération conditionnelle où ils n’auraient pas été payés. Peu acceptèrent et ils ne se rebellèrent pas quand elle leur fut refusée. Un des prisonniers remplaçant se révolta face aux conditions d’emprisonnement et commença une grève de la faim. Les gardiens l’isolèrent et les prisonniers s’en désolidarisaient.

L’expérience fut arrêtée au bout de six jours (sur les quinze prévus) après que Christina Maslach s’insurgea contre les conditions épouvantables de la « prison » où elle avait été pour interviewer les prisonniers. Une cinquantaine de personnes étaient également rentrer dans la prison pour la visiter (dont un prêtre et un protecteur du citoyen) et aucun n’avait remis en cause la moralité de l’expérience. Zimbardo conclu tout de même que son expérience étayait les résultats de l’expérience de Milgram et que la situation influençait les comportements bien plus que les personnalités des personnes concernées.

Problèmes éthiques et méthodologique

De nombreuses critiques ont été émises autour de cette expérience et de ces dérives. Les dérives ont entrainé des situations de dangereuse et psychologiquement dommageable. D’ailleurs de nombreux prisonniers ont gardé des séquelles psychologiques. De plus Zimbardo n’a pas pu garder une supervision neutre (qui aurait dû arrêter l’expérience bien plus tôt) puisqu’il jouait le rôle de directeur de la prison. De ce fait, les observations faites sont subjectives et lacunaires limitant la scientificité des conclusions de même que de reproduire l’expérience. Enfin le faible effectif (24 personnes) et leur non-représentabilité de la société (tous étudiants à Stanford) rendent l’expérience difficilement généralisable. Néanmoins, Zimbardo qui a pu étudier de près les événements d’Abu Ghraib a relevé de nombreuses similitudes dans les actions de soldats et celles des gardiens de l’expérience de Stanford.

Les personnalités des volontaires a été aussi questionné puisque l’annonce de recrutement parlait d’expérience autour de la prison ce qui aurait tendance à attirer des personnalités avec des tendances à l’autoritarisme, la dominance sociale et à l’agressivité et des niveaux plus faible d’empathie et d’altruisme. De plus, se sachant dans une expérience, ils ont pu adopter des comportements qui pensait être attendu d’eux ou reposant sur les stéréotypes des comportements de prisonniers et de gardiens tel que vu dans les fictions. Seulement un tiers des gardiens ont présenté des comportements sadiques. Mais la cruauté variait énormément selon les gardiens. Certains aidaient même les prisonniers. Cependant ces comportements n’ont pas été expliqués.

L’expérience de Stanford a été partiellement répliquée par deux psychologues anglais, Haslam et Reicher, avec l’aide de la BBC. Mais l’expérience diffère largement de l’expérience de Stanford et ne souhaite pas tester les mêmes hypothèses. En particuliers, l’expérience cherche à montrer la possible résistance à la tyrannie. Si base de l’expérience est la même : une fausse prison, des sujets partagés entre prisonniers et gardiens. Par contre pour l’éthique, l’expérience est sous surveillance des expérimentateurs qui restent extérieur et un comité d’éthique. Néanmoins, l’expérience a dû être arrêtée pour empêcher des violences.

Les deux personnages principaux avant l'expérience
Les deux personnages principaux avant l’expérience

Conclusion des deux études

L’expérience de Milgram et celle de Stanford arrivent à des conclusions similaires. Elles expliquent qu’une personne ordinaire ne cherchant pas à faire du mal et sans penchant sadique peut devenir un tortionnaire assez facilement. Les différents facteurs sont :

  1. la dilution de la responsabilité, la personne ne se sent pas responsable de ses actes (souvent justifier par le fait qu’on lui donne l’ordre d’obtenir des résultats)
  2. la déshumanisation de l’autre, la victime n’est plus un humain individuel, il fait partie d’un groupe subordonné
  3. la déshumanisation de soi, la personne n’est pas seule, elle fait partie d’un groupe plus large qui lui donne autorité
  4. le conformisme, la personne ajuste son comportement à ceux des autres membres du groupe.

Ces expériences montrent un glissement rapide en particulier parce que les sujets doivent réagir à une situation nouvelle inattendue. Perdant les repères de comment agir, les sujets sont d’autant plus enclins à copier le comportement des autres même s’ils ont un conflit moral par rapport à leur actions. Les sujets de l’expérience de Milgram ont présenté un stress psychologique durant l’expérience dû à ce conflit.

Il ne faut pas oublier que tous les sujets n’agissent pas mal. 45% des gens ne vont pas aux électrochocs dangereux dans l’expérience de base de Milgram et les deux tiers des gardiens de Stanford n’ont pas montré de penchants sadiques et certains ont même aidé les prisonniers. Mais la raison qui a derrière cette différence de comportement n’est pas clair. Enfin pour ne pas être trop pessimiste, il est probable qu’être au courant de cette facilité de glisser du côté du mal est un bon moyen pour éviter ce basculement.

Pour en revenir au film The experiment, il est assez violent tant physiquement que psychologiquement. Par contre, outre les quelques différences entre l’expérience du film et celle de Stanford, le comportement dans l’expérience des deux personnages principaux semblent trouver leur source dans leurs vies extérieurs à l’expérience et qu’ils retrouveront à la fin de l’expérience. Le film rend bien le côté stressant de la situation où personne ne sait exactement comment il doit réagir trouve très dommage que le film n’explore pas du tout les conséquences de l’expérience sur ces personnages et le héros semble reprendre sa vie comme si de rien n’était.

En 2015, un film américain est revenu sur l’expérience de Stanford, il est inédit en France :  The Stanford Experiment.

Le cinéma allemand de ce début du 21e siècle se pose pas mal de question sur comment l’Allemagne d’entre les deux-guerres a pu basculer dans le nazisme et je vous invite à compléter votre réflexion avec le film La Vague qui a fait l’objet d’un article sur ce blog. Ce film reprend l’ « expérience » de la Troisième Vague qui est souvent ajouté aux deux expériences que l’on vient de voir pour montrer la facilité de glisser dans un régime totalitaire tortionnaire. Une vidéo du Psylab revient sur ce film et cette expérience.

Pour aller plus loin :

La conférence TED de Philip Zimbardo (attention images choquantes)
La vidéo du Psylab sur l’effet Lucifer et l’expérience de Stanford
L’article sur le webzine Madmoizelle : partie 1, 2, 3, 4, 5

Note perso

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La note des lecteurs :
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The Experiment, 2010
Réalisé par Paul Scheuring
Avec Adrien Brody, Forest Whitaker, Cam Gigandet…
Nationalité américaine
Durée 1h36

La bande annonce en vo :


La fiche Allociné The Experiment

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One thought on “The experiment ou comment transformer quelqu’un en tortionnaire (2/2)

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