15 mars 2019 Ln Arnal 0Comment
Temps de lecture estimé : 7 minutes

Wonder Woman est le premier film de superhéroïne à cartonner au Box-Office. Réalisé par une femme, Patty Jenkins, il présente une méchante secondaire Dr. Isabel Maru, le docteur Poison. Tout comme le film s’ancre dans la Première Guerre Mondiale et son imaginaire, le personnage de docteur Poison se trouve adapter à cette représentation. Elle est donc une chimiste/savante folle qui crée des gaz mortels pour l’armée allemande. Elle reprend des éléments historiques réels et repose sur des présupposés culturels divers, démêlons tout ça.

Fritz Haber de l’ammoniac aux gaz de combats

Il est impossible de parler des gaz de combats de la première guerre mondiale sans parler du chimiste allemand Fritz Haber. Prix Nobel en 1918, il a réussi d’avoir sauvé le monde de la famine et d’être un criminel de guerre.

Fritz Haber, The Nobel Foundation (Domaine public)

La synthèse de l’ammoniac et nourrir le monde

Fritz Haber se fait connaitre en 1909 lorsqu’il découvre un moyen de synthétiser de l’ammoniac à partir de l’air et de l’eau avec le procédé nommé Haber-Bosch. Avant l’ammoniac est un sous-produit de la transformation du charbon en coke. A haute pression et haute température, il transforme de l’azote et de l’hydrogène en ammoniac. Cette découverte révolutionne la production de l’ammoniac. Peu couteuse et utilisant l’air ambiant comme matière première, la réaction est rapidement adaptée à une production industrielle.

L’ammoniac est un élément important des engrais. Sa production industrielle peu couteuse a permis d’augmenter les rendements agricoles et d’ainsi nourrir la population allemande puis mondiale qui explose. D’autant que l’Allemagne est dépendante alors du Chili pour ses importations de nitrate. Le procédé d’Haber permet une production locale d’ammoniac et de nitrate. Pour récompenser cette découverte, Fritz Haber reçoit le Prix Nobel de chimie de 1918. En 1914, il est vu comme l’homme qui fait du pain à partir de l’air. Mais cette image va changer avec la Première Guerre mondiale.

Le problème de l’Allemagne face au blocus

Avec le début de la Première Guerre Mondiale, le Royaume-Uni impose un blocus maritime à l’Allemagne. Cette dernière ne peut plus importer du nitrate, ingrédient important des explosifs. Il est rapidement clair pour l’état-major allemand que l’Allemagne risque de perdre la guerre simplement par manque de munition. Pour trouver une solution, l’armée se tourne vers les chimistes du pays pour trouver une solution à ce problème.

Mais si les réactions autour de la fixation de l’azote atmosphérique sont explosives, ces explosions sont difficilement contrôlables. La construction d’explosif à partir de l’azote atmosphérique est alors rapidement abandonnée pour se concentrer sur l’élaboration de gaz. Comme nous le verront plus loin, les gaz vont répondre à un problème stratégique important de cette guerre. Mais il y a un long chemin entre le laboratoire de recherche et le champ de bataille. Et c’est là que Fritz Haber va être un rouage important.

Servir son pays avec ses connaissances et ses relations

Avec sa découverte de la synthèse de l’ammoniac, Fritz Haber a pu obtenir le poste de directeur fondateur du jeune Institut Kaiser Wilhelm de Chimie Physique et électrochimie. L’Institut se veut un lieu de l’excellence de la recherche allemande. L’industrialisation de son procédé lui permet également d’avoir de nombreux contact dans l’industrie chimique allemande qui se développe. Fritz Haber va mettre ses relations en action pour se faire le pont entre militaires, scientifiques et industriels.

Les motivations au cœur de travail d’Haber est alors de servir son pays en se rendant le plus utile possible avec ses connaissances et ses capacités. Il cherche une solution chimique à un problème militaire (la production de munitions sans le nitrate chilien). Il travaille avec les industriels pour que sa solution soit rapidement produite en grande quantité. Il va créer un système qui sera le premier complexe militaro-industriel qui se reprit par toutes les grandes puissances durant le XXe siècle.

L’épouse de Fritz Haber était également une chimiste. Elle est souvent dépeinte comme une pacifiste que s’est opposée à son époux.

L’évolution de l’usage de gaz toxique

Arme de la guerre de tranchées

La Première Guerre Mondiale a rapidement mis en place un système défensif très efficace, la tranchée. Les soldats sont ainsi à l’abri (relatif) de l’artillerie adverse. La charge vers les tranchées ennemies n’est que très peu efficace et le conflit s’immobilise. Il est alors nécessaire pour les militaires de trouver de nouvelles tactiques pour faire sortir l’ennemis de ses abris pour pouvoir conduire des offensives victorieuses.

Les gaz vont répondre à cette problématique. Plus lourd que l’air, ils vont s’infiltrer dans les galeries des tranchés et obliger l’ennemi à sortir. Mais les gaz sont aussi complexes à utiliser. Il nécessite des unités spécialisées pour leur usage. Ces unités sont composées de chimistes mais surtout de météorologistes pour éviter un changement dans les vents et que le gaz se retourne vers l’envoyeur. Mais au-delà de ces caractéristiques, l’usage des gaz va surtout avoir un impact psychologique sur l’ennemi, sapant le moral et la combativité.

Enfin si l’usage des gaz de combat durant la Première Guerre Mondiale est associé aux Allemands, il est important de se souvenir que tous les belligérants en ont fait usage. L’Allemagne est seulement la première à l’utiliser des gaz mortels et le pays en utilisant le plus.

L’industrialisation de la guerre

La Première Guerre Mondiale marque également un changement profond dans la perception de la guerre, surtout en Europe. Première guerre de conscription, les pays comme la France et l’Allemagne se retrouvent totalement tournée vers la guerre. L’économie entière de l’Europe se tourne vers la guerre et fournir ce qui est nécessaire aux combats. Le nombre de combattants explosent et donc le nombre de victime. Si avant la guerre est vue comme un lieu où rechercher la gloire et montrer sa valeur, la Première Guerre Mondiale et ses tranchées vont renvoyer une image d’absurdité et de masse.

L’usage des gaz va renforcer cette image de guerre de masse déshumanisée. Le port de masque à gaz déshumanise encore plus le soldat qui le porte. Son visage disparaît et il devient interchangeable. En plus de l’uniforme, le masque à gaz finit d’anonymiser le soldat. L’ennemi devient une masse uniforme où l’individu n’existe plus. D’autant que le gaz masquant la vue, les soldats ennemi semblent apparaître de nulle part. Enfin le gaz ne fait pas de distinction dans ses victimes. Peu importe sa bravoure, face au gaz seul le masque protège.

L’arme de destruction massive du pauvre

Les gaz de combats sont les premières armes de destruction massive. Si leurs usages par les grandes puissances se raréfient (armes plus efficace, peur l’arme se retourne contre celui qui l’utilise…), les gaz de combats sont encore utilisés dans les conflits, par exemple en Syrie. Ils sont souvent perçus comme une arme de destruction massive du pauvre. En effet, la fabrication de gaz de combat ne nécessite qu’une simple réaffectation des usines d’engrais. Cette réaffectation peut ainsi facilement passer inaperçue.

Dr. Isabel Maru, le docteur Poison testant un gaz mortel
Dr. Isabel Maru, le docteur Poison testant un gaz mortel – Copyright 2017 WARNER BROS. ENTERTAINMENT INC. AND RATPAC ENTERTAINMENT, LLC / Courtesy of Warner Bros. Pictures/ TM & (c) DC Comics

La chimie dans l’imaginaire collectif

Si les gaz de combats ne sont pas à l’origine de la mauvaise image de la chimie, ils la renforcent dans l’imaginaire collectif.

Depuis longtemps (peut-être même du temps de l’alchimie), il y a une opposition entre chimie et nature. La nature étant globalement vue comme quelque chose de positif, par opposition la chimie est perçue comme négative et artificielle. Néanmoins et malgré cette dualité, la chimie n’a pas toujours été mal perçu. Le grand succès du livre de Jane Marcet (1769-1858) tout le long du XIXe siècle montre qu’à l’époque, il y a une grande curiosité autour de la science chimique.

Mais la grande visibilité de l’industrie chimique (grosses usines, fortes odeurs…) a tendance à invisibiliser le travail des chimistes dans d’autres secteurs. L’industrie, de façon générale, est associée à la production de masse et au capitalisme. Cette sur-visibilité de l’industrie chimie déteint sur la science elle-même, souvent méconnue et renforce l’opposition chimie/nature.

Le docteur poison, le classique savant fou

Le docteur poison du film Wonder Woman reprend les codes du savant fou. Elle aime ses recherches et est nullement embarrassée par les conséquences de ces découvertes. Elle aime semer la destruction à l’aide de la science. Elle est ainsi au service des deux autres méchants tout en agissant de sa propre initiative. Le fait qu’elle soit chimiste renvoie à un imaginaire liée aux magicien noir·es avec des potions tant mortels que pour rendre surpuissant.

Elle est tout de même un personnage original en étant une femme dans un monde d’homme. De façon générale, la science et la recherche scientifique sont des domaines masculins. Cela est encore renforcer par l’époque durant laquelle se déroule le film, le début du XXe siècle. D’autant que Wonder Woman parle de la position des femmes dans le monde des humains en début de film. Cette singularité est encore augmenter par le fait que le docteur poison choisit volontairement de se mettre au service des militaires, domaine encore plus masculins que la science.

Et pour finir de l’ancrer dans la Première Guerre Mondiale, elle troque le masque qu’elle porte dans le comics pour une prothèse en céramique pour cacher une blessure à la mâchoire. Ce type de prothèse a été utilisé pour aider les soldats défigurés par la guerre à se réintégrer à la société en ayant une apparence moins hors-norme. Il est néanmoins dommage que le seul personnage défiguré soit une méchante. Cela renforce le lien culturel entre méchanceté, laideur intérieur et laideur extérieur. Lien qu’on a hérité de la philosophie médiévale où le beau est bon et par opposition le laid est mauvais.

Les prothèses étaient créées en partie par la sculptrice Anna Coleman Ladd.

Sans être une arme décisive dans le cours de la guerre, les gaz de combat sont grandement associés à la Première Guerre Mondiale. Ils sont une composante importante de sa perception comme horrifique, destructrice et absurde. Il n’est donc pas étonnant qu’ils aient un rôle important dans le film Wonder Woman qui voit l’héroïne s’opposer à Arès le dieu de la guerre. Dans ce choix d’époque, la présence d’un personnage comme Dr. Isabel Maru est donc très intéressante. Elle permet aussi de nuancé le message de Wonder Woman en obligeant celle-ci à accepter l’imperfection humaine.

Pas tout compris ? Tu as des remarques ? Une erreur s’est glissée dans le texte ? N’hésite pas à laisser un commentaire, j’y répondrais avec plaisir.

Pour aller plus loin :

Friedrich, Bretislav & Dieter, Hoffmann & Renn, Jürgen & Schmaltz, Florian & Wolf, Martin. (2017). One Hundred Years of Chemical Warfare: Research, Deployment, Consequences. 10.1007/978-3-319-51664-6.

Chastrette, Maurice (2007) L’image de la chimie est mauvaise. Pourquoi ? Que faire ? Didaskalia – n° 30 – 2007 doi https://doi.org/10.4267/2042/23960

Avis

Très attendu, le film Wonder Woman est très réussi. L’image est au service de la narration d’une histoire complexe. Peut-être trop complexe puisqu’il m’a fallu un deuxième visionnage pour totalement l’apprécier. En même temps, cela permet de revoir le film de nombreuses fois en y découvrant toujours de nouvelles nuances dans le message. Le choix des couleurs présentent dans les différentes scènes est cohérent à l’ambiance et l’atmosphère que les différentes scènes veulent transmettre. Très importante à ce genre cinématographique, les scènes de combats présentent des techniques de combats à la fois novatrices, féminines et puissantes qui transmettre au spectateurice ce sentiment par rapport à l’héroïne.

Note perso :

Wonder Woman, 2017
Réalisé par Patty Jenkins
Avec Gal Gadot, Chris Pine, Connie Nielsen…
Film américain
Durée 2h21

La bande annonce en VOSTF :

 

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