20 décembre 2018 Ln Arnal 0Comment
Cet article est le 10 e de 10 dans la série La vie des scientifiques sur (grand) écran
Temps de lecture estimé : 7 minutes

Dans cet article, nous nous intéresserons principalement aux Prix Nobel dit scientifique (physique, chimie et médecine ou physiologie).

Le film Marie Curie prend place entre les deux Prix Nobel qu’elle a reçus. Cela correspond à une période difficile de sa vie. Pour en savoir plus, je vous invite à voir sa biographie en vidéo ci-dessous. Mais si ces Prix ont marqué la vie de la scientifique, cette dernière a également marqué l’histoire des Prix Nobel. Elle est la première femme à en recevoir un, la première personne à recevoir deux Prix Nobel et la seule personne à avoir reçu deux Prix Nobel dans des disciplines scientifiques différentes. Mais Marie Curie reste une exception dans le monde des Nobels. Cette année une troisième femme a reçu le Prix Nobel de physique, la précédente datait de 55 ans. On peut se demander si les lauréat·es des Prix Nobels sont vraiment représentatifs de la diversité de l’excellence du monde de la recherche et de l’impact qu’à cette mauvaise représentation.

Qu’est-ce que sont les Prix Nobels, au fait ?

Le 10 décembre 1896, le suédois Alfred Nobel meurt riche et sans enfant. Chimiste, il a fait fortune en inventant la dynamite. Il a soigneusement écrit son testament pour assurer l’avenir de sa richesse. Il souhaite que sa fortune (enfin la quasi-totalité) soit utiliser pour récompenser « ceux qui au cours de l’année écoulée auront rendu à l’humanité les plus grands services ». Il établit aussi les 5 domaines qui seront récompenser, la paix ou diplomatie, la littérature et en science, la chimie, la physiologie ou médecine et la physique. Il précise également que seul le mérite doit compter dans l’attribution des récompenses.

En 1900, la Fondation Nobel est fondée et elle est chargée de gérer l’héritage de Nobel et contrôler le respect des règles d’attribution. La première cérémonie d’attribution à lieu l’année suivante, à Stockholm, le 10 décembre pour commémorer Alfred Nobel. A partir de 1902, les prix sont remis par le roi de Suède. Et après la séparation de la couronne suédoise et norvégienne, c’est le roi de Norvège qui remet le Prix Nobel de la Paix à Oslo, toujours le 10 décembre.

Pour pérenniser les Prix Nobel, la Fondation place et investie l’héritage Nobel. La somme de la récompense est actuellement de 8 millions de couronnes (880 000 euros). Cette somme a variée au court du temps. En 1901, elle était de 150 782 couronnes. Elle est également partagée entre les different·es primé·es d’une même année et d’une même discipline. La façon dont le partage est effectué est annoncé en même temps que les lauréat·es. Par exemple en 1903 en physique, Becquerel a reçu la moitié du Prix, tandis que les époux Curie recevaient un quart chacun.

Si la Fondation Nobel organise les Prix, elle ne décide pas qui est récompensé. Elle laisse ce choix à d’autres organisations. Pour les prix de physique et de chimie, c’est l’académie royale des sciences de Suède. Pour le prix de physiologie ou médecine, c’est l’Institut Karolinska, l’Université de médecine de Stockholm. Le choix des lauréat·es se fait sur des propositions faites par des personnes reconnues dans leurs disciplines. Les lauréat·es sont annoncé sur une semaine au début d’octobre.

Le manque de diversité

Avec 19 femmes ayant reçu un Prix Nobel scientifique (ou deux), les femmes ne représentent que 3% des Nobélisé·es. Les Nobels ne sont pas les seuls prix à avoir peut de lauréates. Par exemple, une seule femme a reçu la médaille Fields, l’iranienne Maryam Mirzakhani en 2014 et aucune n’a encore reçue le récent Prix Abel (qui a été créé en 2001 sur le modèle des Nobels). En informatique, celles deux femmes ont reçu le prestigieux Prix Turing (Frances Allen en 2006 et Barbara Liskov en 2008).

Un des arguments donnés pour expliquer cet état de fait est de dire que cela représente le fait que les femmes sont minoritaires dans la recherche scientifique et qu’elles ne travaillent que depuis récemment. Or il y a toujours eu des femmes scientifiques même si elles ont dû se battre pour être reconnues. Pour rester dans le champ des Prix Nobel, Marie Curie n’a reçu son premier Prix Nobel que parce que son époux l’a réclamé alors même que les travaux récompensés étaient au cœur de sa thèse. A la même époque, de nombreuses épouses ne cosignaient même pas les articles sur le travail qu’elles accomplissaient avec leur époux. Sans aller jusqu’au cas de Mileva Marić, il y a les cas de Clara Immerwahr et Marcella O’Grady.

Cette difficulté à faire reconnaitre la contribution des femmes à la science est nommée l’Effet Mathilda. Il est global et pas limité aux Prix Nobel même si ceux-ci représentent bien le souci. Mais si peu de femmes n’ont reçu de prix Nobel, aucuns scientifiques noirs n’en a reçu.

Alfred Nobel a écrit dans son testament que la nationalité devait ne pas rentrer en compte. Néanmoins, il est force de constater que certaines nationalités sont plus représentées que d’autres. C’est en particuliers le cas de l’Europe et des États-Unis. Ces dernières années, le Japon et la Chine émerge comme de nouveaux pays à la pointe de la recherche scientifique. Cela s’explique par l’augmentation de l’importance des universités de ces pays sur la scène scientifique mondiale ainsi que les financements dont elles disposent.

L’Afrique est particulièrement derrière avec aucun Prix Nobel scientifique. De fait, les universités du continent ne sont pas très cotées. Les meilleures sont en Afrique du Sud et en Egypte. Et dans un cercle vicieux, le manque de reconnaissance mondiale limite l’attractivité de ces universités tant pour les étudiant·es et les chercheur. Avec cette fuite des meilleurs éléments, pas simple d’obtenir de la reconnaissance.

Mais en dehors du continent, aucun scientifique noir n’a pas plus reçu de Prix Nobel. Comme pour les femmes (de manière générale), les personnes noires sont plus minoritaires dans les sciences que dans la population générale. De même, la participation des personnes noires dans l’histoire des sciences a été relativement effacée. Un très bon exemple est le cas de Katherine Johnson relaté dans Les Figures de l’Ombre.

Marie Curie discutant avec Albert Einstein lors du congrès de Solvay de 1911 (Copyright P’Artisan Filmproduktion)

Les conséquences globales sur la représentation du monde scientifique

Ce manque de diversité n’est pas spécifique aux Prix Nobel mais leur renommé au-delà du monde académique et scientifique leur donne une portée plus importante que d’autres récompenses. C’est souvent un des rares moments de l’année où les scientifiques font la Une de l’actualité. La surreprésentation d’hommes blancs conforte le stéréotype du scientifique étant un vieil homme blanc. Les femmes et/ou les personnes de couleurs sont ainsi perçue comme étant plutôt l’exception qu’une norme.

Outre le sexisme et/ou le racisme qu’iels peuvent expérimenter au sein de leur lieu de travail, ce stéréotype joue contre elles et eux qui rencontrent des évaluations souvent plus critiques que leurs collègues. Ainsi par exemple, une femme qui a un look très féminin est souvent perçue comme moins douée qu’elle n’est réellement.

Ce stéréotype a aussi pour effet que les personnes se détournent d’études ou de travail en science ne pensant pas y être à leur place. Ainsi plus le niveau académique n’augmente plus la proportion de femmes et/ou de personnes de couleurs diminue. Ces personnes préférant une autre orientation ou considérant que la science n’est pas faite pour elles ou eux.

Pire ce stéréotype impacte les résultats scolaires des femmes et personnes de couleurs. Ainsi les femmes réussissent moins bien un test s’il est présenté comme un test de mathématiques que le même test présenté comme un test d’art plastique.

Si sur ce blog on a déjà parlé de l’importance de la représentation dans la fiction, la représentation dans la réalité est aussi importante et les Prix Nobel ont un rôle à jouer pour sa représentation. En récompensant l’excellence scientifique, ils peuvent montrer que celle-ci est portée tant par des personnes de genre et d’origine ethnique diverse et non pas qu’une partie de la population humaine.

Prise en compte des critiques

D’ailleurs la fondation Nobel et les organismes désignant les lauréats tiennent compte des critiques qui leur sont faite et adapte (ou non) l’organisation. Ainsi les Prix Nobel scientifique récompensent des découvertes faites depuis un certain temps et non dans l’année écoulée pour éviter de récompenser des découvertes qui se révèle par la suite fausse comme en 1926 où le Prix Nobel de médecine a récompensé Johannes Fibiger pour sa prétendue découverte d’un parasite causant le cancer. De fait, « au cours de l’année écoulée » serait maintenant interprété comme une découverte dont l’impact est devenu évident durant l’année. Par contre, la règle d’avoir au maximum 3 lauréat·es par an et par discipline reste en place même si cela correspond de moins en moins à la façon dont est faite la science.

Concernant le manque de diversités chez les lauréat·es, le comité Nobel a dit qu’il demanderait à l’avenir aux personnes proposant des lauréat·es potentiel de faire attention à choisir des candidat·es de genre et d’origine variées. Avec une sélection plus diverse, il sera possible d’augmenter la diversité des lauréat·es à l’avenir. D’ailleurs l’édition 2018 a montré que cette demande de diversité a été, au moins en partie, entendue.

Pas tout compris ? Tu as des remarques ? Une erreur s’est glissée dans le texte ? N’hésite pas à laisser un commentaire, j’y répondrais avec plaisir.

Pour aller plus loin :

Gibney, Elizabeth (2018) What the Nobels are — and aren’t — doing to encourage diversity. Nature 562, 19 doi: 10.1038/d41586-018-06879-z
A Nobel Prize in diversity? Par James Badcock dans The Economist
No black scientist has ever won a Nobel – that’s bad for science, and bad for society par Winston Morgan dans The Conversation

Avis:

Le film fourmille de détails pas toujours très connu de la vie de Marie Curie qui donne une trame à l’exploration de ses sentiments. La photographie s’appuie régulièrement sur des photos existantes de l’époque. Cela permet d’ancrer le film dans l’imaginaire collectif autour de Marie Curie. Il y a également tout un travail sur les ombres et les lumières. Le tournage camera à l’épaule permet un sentiment d’intimité et appuie l’intérêt du film pour la psyché de la scientifique. Le résultat est un film qui donne à la fois l’impression d’être qu’un épisode d’une vie bien remplie et à la fois une évolution satisfaisante du personnage principal, élément central d’un bon récit.

Note perso :

Marie Curie, 2017.
Réalisé par Marie Noëlle
Avec Karolina Gruszka, Arieh Worthalter, Charles Berling …
Film français, allemand et polonais
Durée 1h39

La bande annonce en VF

https://youtu.be/opdMN-32AYk

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