Il y a un an, je déplorais le manque de représentation de la joie de trouver après avoir longuement tâtonné dans sa recherche. Mais le film The Lost King (sorti en France le 29 mars) vient combler ce manque. Il m’a d’abord enthousiasmé en m’identifiant à l’héroïne qui part à la recherche de la tombe de Richard III. Mais, plus je réfléchissais au film pour préparer cet article, plus je tiquais sur différents choix de la narration. En effet, en creusant un peu plus sur l’histoire de l’exhumation de roi anglais, je me rends compte que le film prend pas mal de liberté avec la réalité. Si cette liberté ne me dérange moyennement (cela donne tout de même une image faussée des évènements), ça m’a permis de mieux comprendre ce qui me gênait dans les choix narratifs. Mais commençons par le positif.
Sans faire de gros spoilers, cet article s’appuie sur des choix de réalisations et des éléments de l’histoire, il est donc préférable d’avoir vu le film avant la lecture ou au moins de ne pas être dérangé par des spoilers légers (le film ne s’appuie pas sur des retournements de situations)
Sommaire
Représenter les sentiments de l’héroïne
The Lost King repose sur le point de vue de son héroïne Phillipa Langley. Cette subjectivité se doit d’être visible dans un média qui a tendance à sous-entendre un narrateur extérieur. De fait, l’image place lae spectateurice comme unle film Memento utilise l’impact de la maladie sur son personnage pour que nous soyons dans une confusion similaire pendant que le film remonte les évènements.
observateurice extérieur des évènements en ayant un accès limité à l’intériorité des personnages. Rendre compte d’une narration d’un point de vue d’un seul personnage est complexe. Il existe néanmoins plusieurs méthodes comme la voix-off ou montrer une même scène selon les différents points de vue. Par exemple,Ici, le film veut mettre en avant et en images les émotions et les intuitions de son héroïne. La narration repose sur des méthodes classiques filmiques telles que les dialogues entre les personnages et le jeu de l’actrice. Mais pour aller plus en profondeur de ces émotions, le réalisateur a pris le parti de montrer celles-ci via des visions (et des discussions) avec Richard III. Cette visualisation permet déjà de montrer l’obsession que prennent sa curiosité et le côté intrusive de celle-ci. On voit donc facilement la place grandissante que prend son intérêt dans sa vie. Ces visions indiquent également les intuitions du personnage, ce qui va la guider à prendre telle ou telle décision. Enfin, les dialogues entre Langley et le roi de ses visions permettent également de mettre en lumière ses questionnements, en particulier, ceux qu’elle ne se sent pas de partager avec une personne réelle.
L’opposition raison et sentiments
Si la Phillipa Langley du film montre tout le long du récit les diverses émotions que traverse toutes et tous scientifiques dans sa recherche, le film l’oppose aux historiens et aux archéologues. En effet, en ayant accès qu’à l’intériorité de Langley, à l’opposer, les scientifiques présents à l’image restent dans un professionnalisme relativement froid. On a d’un côté une personne mue par son intuition et ses émotions et de l’autre des scientifiques qui n’agissent qu’avec méthode et avec moult preuves. On a aussi une femme en opposition à des hommes 1. Volontaires ou non, ces oppositions font écho à des conceptions occidentales bien ancrées et les renforcent. En effet, la philosophie européenne est caractérisée par une dualité profonde. Elle oppose la raison aux sentiments/émotions, mais aussi objectivité et subjectivité, abstraction au concret et bien sûr le masculin au féminin. Socialement, ces dualités se sont associées les unes aux autres. Du plus, les cultures occidentales associent au masculin la raison, la logique, l’abstraction, la cohérence ou la rigueur et au féminin l’imaginaire, la pensée intuitive, le désordre ou la faiblesse.
Les sciences modernes se sont construites historiquement comme masculines avec l’idée d’être un outil de contrôle de la Nature, féminine par essence et donc dangereuse. Les sciences se construisent en mettant en avant des critères vu comme masculins comme l’objectivité et en rejetant les critères considérés comme féminin, par exemple l’intuition. Cela a joué dans l’exclusion des femmes de façon directe (exclusion de l’éducation et des institutions) ou indirecte (suspicion d’incompétence).
Cette opposition a fait également que les sciences ne se sont pas intéressées aux émotions pendant longtemps. C’est d’abord la psychologie qui s’y intéresse comme un objet d’étude. Puis surtout, depuis 30 ans, la philosophie, l’histoire et la sociologie des sciences se sont emparées de la question des émotions des scientifiques. Et il n’a pas eu à creuser longtemps pour retrouver ces émotions qui sont cachées et comment elles font pleinement partie du travail de recherche scientifique. Il suffit par exemple de simplement lire les autobiographies des scientifiques elleux-même.
De l’utilité des émotions dans la recherche scientifique
Dans le film, le personnage s’intéresse au roi anglais après avoir vu une représentation de la pièce de Shakespeare. Après le spectacle, elle commence à voir très régulièrement le roi au loin (dans sa version jouée par l’acteur de la pièce). Sa curiosité a été piquée et le roi occupe de plus en plus ses pensées, la poussant à faire toujours plus de recherche sur lui. C’est le même genre de sentiments qui me pousse à choisir le sujet de mes articles (et de mes vidéos). Mais également les chercheureuses. C’est leur curiosité qui va les pousser à choisir tel ou tel sujet de recherche (même si le mode de financement actuel de la recherche limite plus ou moins cette liberté) et par quel angle répondre à leur question. De même, la curiosité de Langley est renouvelée régulièrement, plus elle cherche et découvre des points méconnus qui la surprenne. Elle finira par se focaliser sur les restes du roi dont on ignore alors où ils sont. C’est cette curiosité qui sert de moteur à tout travail de recherche.
La recherche demande aux personnes qui la réalisent de trier de nombreuses informations (l’état des connaissances sur un sujet ou sur des sujets proches, les observations et les résultats des expériences, etc.). Ce tri repose sur les émotions de lea chercheureuse, via la surprise d’une information ou plusieurs qui sont inattendues, ou la frustration et le malaise des explications qui sont apportées par le consensus scientifique ou le paradigme. Ainsi dans le film, Langley est surprise et frustrée par la version courante sur le fait que le corps de Richard III aurait été jeté dans la Soar, la rivière qui passe à Leicester en dépits de son rang. Elle lui préfère l’hypothèse d’une inhumation dans un monastère de la ville. Monastère qui a disparu depuis longtemps.
Je passe rapidement sur les émotions liées au travail collectif qu’est la recherche scientifique (affection ou au contraire l’antipathie pour une personne, esthétique recherché dans la discipline…). Mais elles sont également présentes dans le film, la ténacité et l’enthousiasme de Langley se transmet au groupe d’archéologues. Même si ces derniers recadrent ses émotions pour les faire entrer dans un cadre scientifique.
Mais toutes ces émotions disparaissent lorsque lea chercheureuse doit partager ses résultats avec ses paires. Cela se voit particulièrement dans les articles scientifiques dont la forme doit supprimer toute mention d’émotions. Cet effacement des émotions qui ont été nécessaires à la création de la connaissance scientifique participe au discours qu’une science objective s’oppose aux émotions forcément subjectives (puisque propre à la personne qui les ressent). Dans le film, cet effacement des émotions passe par l’effacement du rôle de Langley lors de la présentation des résultats de la fouille par l’université. Si on ne voit pas une présentation scientifique en tant que telle (c’est une conférence de presse), le discours se veut scientifique et donc relativement peu émotif.
L’étude du rôle des émotions dans la recherche scientifique a mis à mal l’idée que les scientifiques doivent garder une certaine distance à l’objet de leur étude. Mais cette distance était déjà mise à mal dans les sciences humaines et sociales où le vécu des scientifiques participe forcément à leur compréhension et leur interprétation de leur objet d’études lié à l’humain. S’il est admis maintenant que l’objectivité est impossible à atteindre par une seule personne, c’est via le partage d’une méthode scientifique (qui dépend de la discipline) et l’obtention d’un consensus par un groupe de personnes aux diverses subjectivités que l’objectivité est approchée. Il est donc important d’avoir des chercheureuses aux origines et aux vécus les plus diverses et possibles.
La place des amateurices dans les sciences
Un autre point soulevé par le film est l’opposition actuelle entre amateurices de sciences et chercheureuses professionnel
. Durant le 19ᵉ siècle et le début du 20ᵉ, la recherche scientifique s’est professionnalisée. Durant cette période, les amateurices ont été de plus en plus relégué·es hors de la sphère scientifique. D’un côté, s’iels étaient une source de données en effectuant des observations ou des expériences assez longues. D’un autre, la qualité de leurs travaux était très variable.Cela passe surtout par le fait que les institutions scientifiques deviennent les vecteurs de “la science officielle” reconnue et détenant le narratif autour des découvertes. Cela se voit bien dans le film, avec le succès des fouilles, l’université reprend la main sur la communication autour de la découverte en minimisant l’apport de Langley. Si l’institution permet de faire une première validation scientifique, elle invisibilise également (au moins en partie) le travail de recherche des amateurices.
Dans certains domaines, la législation va également participer à cette exclusion en interdisant certaines pratiques. Ainsi, l’héroïne ne peut faire elle-même les fouilles et doit passer par une équipe d’archéologue de l’Université de Leicester. Mais dans de nombreuses autres disciplines, même sans interdictions légales, les amateurices sont de plus en plus encadrés et dirigés par les professionnels, par exemple via la science participative. Ce cadrage se voit en partie au moment des fouilles où Langley est que spectatrice et n’est incluse que dans la prise de décision avec peu d’importance.
En histoire, en particulier, il existe encore des sociétés d’amateurices comme celle à laquelle participe Langley (et dont elle est la présidente dans la réalité), ce qui permet aux amateurices de plus ou moins choisir leur sujet de recherche. Dans le film, si la figure de Richard III est tout de même un sujet d’étude de plusieurs universitaires avec qui Langley discute tout le long du film, elle suit une théorie minoritaire par rapport à la localisation du corps du roi, mais également dans la personnalité du monarque. Dans une scène d’opposition avec le chef de fouille, on voit aussi la différence entre une histoire appréciée du grand public autour de grandes figures historiques et une histoire et une archéologie universitaire qui s’intéresse également voir plus à la vie plus quotidienne pour comprendre la société de l’époque. Si pour Langley, seul le fait de retrouver la dépouille du roi est importante, le chef de fouille cherche à trouver le plus d’informations archéologiques autour de l’abbaye.
Financement et controverse
The Lost King effleure également d’autres questions de la recherche scientifique intéressante comme le financement de la recherche ou la controverse et les révolutions scientifiques.
Le film montre un peu la question du financement des recherches, avec le financement participatif des fouilles (pour justement payer le chantier) après l’échec d’un financement institutionnel plus classique. La recherche coûte cher. Même dans des disciplines ne nécessitant pas d’expériences complexes, le simple accès à la littérature scientifique nécessaire est hors de prix. Il est donc devenu quasi impossible pour une personne seule de financer des recherches précises, ce qui limite également l’accès aux sciences par des amateurices. Mais ça limite les scientifiques dans leur choix du sujet d’étude puisqu’iels sont dépendants des financements publics ou de grandes entreprises.
Comme je l’ai précisé plutôt, Langley souscrit à une hypothèse minoritaire dans le débat scientifique sur la figure de Richard III et ce qui est advenu de sa dépouille. Or, on représente assez souvent les sciences sous l’angle du consensus scientifique, avec parfois une personne s’y opposant, mais en étant rejeté. Mais le débat scientifique, surtout sur des questions en cours d’étude, est nécessaire. Kuhn, avec sa théorie des révolutions scientifiques, présente bien ce phénomène. Une théorie est majoritairement acceptée par la communauté puis des éléments sont découverts qui viennent s’y opposer. Au départ, ces éléments sont souvent écartés, mais quand ils deviennent trop importants et quand une nouvelle théorie les incorpore, la première théorie est abandonnée. C’est ce qui s’est passé en physique quand on est passé de la physique newtonienne à la physique actuelle, en particulier avec la théorie de la relativité d’Einstein.
Conclusion
The Lost King est donc très intéressant pour mettre en avant les émotions des chercheureuses ce que fait peu de films. Mais par les choix scénaristiques, il appuie (involontairement, j’espère) sur des préjugés bien ancrés de nos sociétés occidentales. De même, s’il est porteur d’une certaine critique de la professionnalisation des sciences, il semble rejeter plus ou moins en bloque les institutions qui permettent de valider la qualité des recherches. Si un film, de fiction qui plus est, n’est pas tenu à un propos neutre ou nuancé, c’est ce qui me gêne dans celui-ci. D’un certain côté, il semble célébrer la recherche en montrant des aspects peu vu à l’écran, mais d’un autre, il s’oppose à des cadres nécessaires pour une science de bonne qualité. Bref, si je recommande chaudement ce film, il me semble important de garder un certain recul sur son discours volontaire et celui implicite.
Note
- Il y a tout de même des femmes archéologues, mais elles sont sous la direction de Richard Buckley. De plus, en se basant sur des personnes réelles, le choix de cette opposition hommes/femmes n’est pas volontaire, reflète la réalité de cette histoire précise, mais également une certaine réalité du monde académique. ↩︎
Résumé
Le film The Lost King met en avant les émotions de la recherche via sa protagoniste historienne amatrice. Ces émotions sont souvent absentes dans la perception de la recherche. Or, elles sont au cœur de ce travail. Mais les formes de présentation des résultats efface ces émotions.
Pas tout compris ? Tu as des remarques ? Une erreur s’est glissée dans le texte ? N’hésite pas à laisser un commentaire, j’y répondrais avec plaisir.
Bibliographie
Michaut, C. (2023, April 22). Nathalie Richard, historienne : « Les institutions ont longtemps marginalisé les scientifiques amateurs ». Le Monde. https://www.lemonde.fr/sciences/article/2023/04/22/nathalie-richard-historienne-les-institutions-ont-longtemps-marginalise-les-scientifiques-amateurs_6170618_1650684.html
Petit, E. (2022). Science et émotion. Edition Quae. https://www.quae.com/produit/1740/9782759235483/science-et-emotion
Waquet, F. (2019). Une histoire émotionnelle du savoir XVIIe-XXIe siècle. CNRS Editions. https://www.cnrseditions.fr/catalogue/histoire/une-histoire-emotionnelle-du-savoir-xviie-xxie-siecle/
Avis
Très classique dans la forme et sans grande prétention, les images sont sympathiques et comme je l’ai dit, sert bien le propos du film. Au-delà de la recherche scientifique, le film aborde le handicap, la recherche de sens de sa vie. Et au-delà des critiques que j’en fais dans cet article, ce film est fort sympathique sans révolutionner le cinéma (ce qui n’est clairement pas le but du film).
Note perso
The Lost King , 2023.
De Stephen Frears
Avec Sally Hawkins, Steve Coogan, Harry Lloyd …
Film britanique
Durée 1h49
La bande annonce en VOSTF :