Comme cadeau de Noël (empoisonné ?), Netflix a sorti le film Don’t look up : déni cosmique d’ Adam McKay (The Big Shot et Vice). Censé être une comédie, le film fait rire jaune, voir pas rire du tout, scientifiques, vularisateurices, médiateurices ou journalistes qui parlent plus ou moins du réchauffement climatique ou de la pandémie de Covid-19. Il faut dire qu’il retranscrit parfaitement l’absurdité des personnes qui voient se réaliser les projections des spécialistes de ces questions tandis que les gouvernements et les médias généralistes ne semblent rien faire, voire pire proposer des solutions au mieux peu efficaces au pire nuisible. Sans parler des gourous de la technologie qui pensent pouvoir tout résoudre grâce aux nouvelles technologies (et s’enrichirent au passage).
Au-delà de ce public très spécifique, la question est de savoir qui ce film veut toucher. Le message du film est très clair, il faut écouter les scientifiques, en particulier sur le changement climatique (et on peut l’étendre à la pandémie actuelle). Il va renforcer celleux qui en sont déjà plus ou moins convaincu de l’urgence climatique, qu’iels ont raison d’écouter les scientifiques. Et pour les autres ? Pas sûr que ça convainque. Je vous propose de faire le tour de ce qui me dérange dans le film. L’article discutera donc de divers éléments du film, donc si vous ne voulez pas être spoiler, je vous conseille de le voir avant de lire l’article.
Sommaire
La science n’est pas une politique
Un des éléments important du film est le peu de réaction des politiques (personnifiés par la présidente et son fils/conseiller). C’est une critique qui peut être faite à propos des crises climatiques et sanitaire. D’autant plus quand certains politiques nient les faits décrit par la science (comme Trump). Ce type de négation de la réalité à engendrer en réponse le slogan « Listen to the science » (« écoutez la science ») et l’idée qu’on devrait simplement suivre les recommandations des scientifiques. Mais c’est plus complexe.
La science décrit le monde et prédit parfois son avenir
Toutes les sciences ont des limites. Mais au cœur de chacune, il y a la volonté de décrire le monde et d’en créer un modèle. À partir de ce modèle, il est possible de prédire comment, probablement, le monde va évoluer. Bien sûr, ces prédictions dépendent des paramètres que l’on connaît. Ainsi dans le film, les modèles basés sur les lois de la physique permettent de calculer la trajectoire de l’astéroïde. Donc la science dans le film dit uniquement : « il y a un astéroïde qui arrive et va détruire la vie sur Terre ». Rien de plus. Après, la science peut aussi aider à prédire ce qui va se passer si on fait X ou Y. Ainsi les scientifiques ont prévenu du risque élevé d’échec que l’opération prévue par le magnat des nouvelles technologies.
De même, les modèles climatiques permettent depuis des décennies de voir et de prédire les changements climatiques. Dans ce cas, les prédictions sont variables, car l’augmentation dépend des quantités de CO2 dans l’atmosphère par exemple. Enfin dans le cas du Covid, les prédictions sont encore plus floues puisqu’on ne connaît pas encore tous les facteurs jouant sur l’évolution du nombre de cas ou mal (comme la météo, l’apparition de variants…).
Connaître la limite des modèles et donc des prédictions est importante, mais il faut en tenir compte néanmoins. Cette incertitude est parfois utilisée pour justifier des choix politiques. D’autant que les politiques n’aiment pas trop se présenter comme ne sachant pas ou pire en faire trop pour rien. On se souvient de la gestion très précautionneuse de la pandémie de grippe A(H1N1) de 2009.
C’est la politique qui ajuste la distribution des ressources/efforts
Cette gestion a été très critiquée à postériori, car elle a été très coûteuse et a semblé trop important aux vues du nombre de décès en France. Depuis, les politiques préfèrent la réaction à l’anticipation pour avoir facilement l’image qu’ils font quelque chose et résolvent des problèmes assez facilement (plutôt que d’avoir des actions dont les résultats ne seront visible que sur le long terme et potentiellement après les prochaines élections). De même, des problèmes à long terme comme le changement climatique peuvent paraitre moins prioritaire que d’autres problèmes politiques ou pour leur carrière/réélections.
Si la science peut donner un aperçu de ce qui nous attend et évaluer différentes solutions, elle ne peut pas trancher entre plusieurs elles. C’est à la société et la politique de faire ces choix. Et souvent, en plus, il n’y a pas qu’un seul problème à gérer. Certes les climatologues expliquent qu’il faut réduire notre production de CO2, mais comment ? Encore une fois la science peut donner des informations sur comment et combien de CO2 est produit. Et puis, bien sûr, il faut réduire la production de CO2, mais il y a également des problèmes liés à la pauvreté ou à la santé… De façon générale, la société a des ressources limitées (en matières premières, en mains d’œuvre, en financement…) et donc faire des choix sur comment allouer ces différentes ressources.
Et si écouter les climatologues sur le changement climatique ou les épidémiologies sur le Covid est bien, c’est mieux d’écouter également les chercheureuses en sciences humaines et sociales qui peuvent justement nous en apprendre plus sur nos réactions, nos freins à l’action et le fonctionnement de nos sociétés.
La science passe mal à la télévision
Si le film montre très bien un souci actuel, c’est la difficulté des scientifiques à se faire entendre dans les médias et en particulier dans les médias proposant des formats assez court et/ou généraliste. Comment expliquer en 3 minutes montre en mains des concepts que les chercheureuses ont mis des années à comprendre ? Comment passer du langage technique et très précis de sa discipline à compréhensible par des personnes dont le dernier cours de science remontent à des décennies ? Pas simple. C’est pour cela qu’il existe des journalistes scientifiques, des vulgarisateurices ou des médiateurices. C’est pour cela que ce type d’exercice se prépare (si le film parle bien de média training, on n’en voit pas l’ombre pour les deux scientifiques). Du coup, c’est un peu dommage de ne pas voir ces métiers. Par exemple, l’astrophysicien très médiatique Neil deGrasse Tyson aurait pu faire un caméo dans le film.
La starfication des experts et temps médiatique
De même, le film montre bien que quand un ou des médias trouvent une personne qui réussi l’exercice, cette dernière est plus facilement rappelée. Ce biais a un côté positif et un côté négatif. Le positif permet une incarnation du discours ce qui le rend plus tangible et plus humain. Cette incarnation peut également montrer la diversité des chercheureuses, loin de la seule figure de l’homme blanc d’un certain âge. Enfin si les expert·es invité·es ne sont pas que des hommes blancs d’un certain âge.
Le côté négatif est souvent une starification de la personne. Cela donne une image faussée de la science où au lieu d’une entreprise collective, c’est une entreprise plus individuelle. Or la force des connaissances obtenue par la science vient du collectif. Un
scientifique peut se tromper, mais le collectif valide la solidité des informations.De la place pour de la pseudo-science
Tout d’abord le temps médiatique n’est absolument pas le même que celui de la science. Le film montre bien qu’une nouvelle comme une séparation d’un couple de star peut prendre autant de temps d’antenne que la prédiction de scientifique d’une catastrophe qui impacte l’humanité entière. À l’inverse, une fois les informations plus solidifiées par le consensus scientifiques et plusieurs études, ce n’est plus une actualité pour les médias qui rapportent alors peu l’information.
Par exemple dans le cas de la pandémie, les médias veulent rapidement des informations et des analyses qui n’ont pas forcément eu le temps d’être scientifiquement obtenue. Par exemple, dès qu’un nouveau variant est identifié, les médias veulent savoir s’il est plus contagieux et plus virulent que le précédant. Alors que ces informations ne sont pas encore connue, c’est l’étape suivante celle de l’identification du nouveau variant.
Il y a aussi le fait que les médias en voulant montrer la diversité des points de vue car le débat est un format assez médiatique. En le faisant, les médias mettent au même niveau le consensus de la communauté scientifique et les avis isolés de certains scientifiques ou même de personnes n’étant pas du tout scientifique. Or le consensus scientifique est ce qui donne la force au discours scientifique (ainsi que le fait qu’il peut changer dans le temps pour se corriger).
et pour les discours pseudo-scientifiques
Mais il ne faut pas croire que le discours scientifique n’est pas entendable dans la société. Et encore une fois, le film le montre bien. Et ce discours est celui porté par les patrons d’entreprises qui produisent des produits high-tech comme Bezos, Musk ou -en son temps- Jobs. Au contraire, ils vont utiliser un discours qui empreinte au vocabulaire scientifique et technique pour faire la promotion de leur entreprise et de leurs produits. Ayant un discours très positif, ils l’utilisent comme argument promotionnel ne cherchant pas à avoir un discours compréhensible, mais à donner une image de sérieux et de progrès. Si ça marche, c’est parce qu’on a encore confiance en la science et qu’elle fait rêver.
Malheureusement la même science nous a avertie·es de limiter notre usage de ces nouveaux produits et services (par exemple sur l’extrême pollution engendrer par le tourisme spatial). Le film montre d’ailleurs assez bien que la technologie ne résoudra pas les crises que nous connaissons (et ce malgré les propos du réalisateur).
La science passe mal dans le film
Une occasion manquée
Mais outre le fait que la science passe mal à la télévision, elle passe mal dans le film. Et c’est un des plus gros défauts du film à mes yeux. De façon générale, on peut dire que la science dans le film est dite et non montrée. On parle tout le long du film de peer-review, de communauté scientifique et de consensus, mais on ne les voit pas. Je comprends bien que le format cinématographique limite le nombre de personnages, mais très clairement la communauté scientifique est le personnage absent du film. Les personnages de DiCaprio et Lawrence ne publient pas leur découverte dans un journal scientifique (enfin un télégramme d’astronome dans ce cas précis) et on ne voit personne refaire les calculs de trajectoires (alors que ce n’est pas la spécialité des personnages). On nous dit bien que ces derniers ont été confirmé, mais c’est hors écrans.
De même, on ne voit pas d’autres scientifiques parler depuis leur domaine de compétence du risque de l’astéroïde. Par exemple des géologues sur la réaction de la planète (explosion ? volcanisme accentué ?), des paléontologues ferraient la comparaison avec la disparition des dinosaures… Mais en dehors des deux personnages principaux, il n’y a qu’un autre scientifique, celui chargé de la protection planétaire à la NASA et au début les autres étudiants travaillant au télescope. Encore une fois, la force de la science est qu’elle est faite par une communauté composée d’expert·es dans différents domaines, de l’évaluation des découvertes et des travaux de ses membres par d’autres membres tout aussi experts (peer-reviewing). J’ai bien conscience que montrer cet effort collectif est complexe dans un film sans perdre les spectateurices.
Mais dans le cas précis, finalement, on ne sait pas pourquoi il faut écouter les scientifiques. En quoi, leur discours est plus important que celui des autres ? J’avoue que c’est une question à la fois pas simple à répondre et à la fois centrale dans notre société.
Les conséquences de ne pas montrer
Le problème de ne pas répondre à cette question est que ça ne permet pas aux personnes d’appréhender le discours scientifiques, ses spécificités et ses limites (évidement qu’on ne sait pas tout d’un virus qu’on vient de découvrir). C’est dans ces brèches que les discours pseudoscientifiques, les « fake-news » ou les discours complotistes s’infiltrent. C’est d’ailleurs un gros écueil du film.
Au début, le personnage de DiCaprio explique en se présentant au responsable de la défense planétaire que s’il n’est pas connu, c’est parce qu’il n’a pas publié depuis longtemps. Or d’un, aucune explication n’est nécessaire, à part sur un champ ultra précis (et encore), personne ne connait le nom de tou
les scientifiques qui y travaillent et de deux, l’explication la plus courante et que jusqu’à présent, il n’a pas fait de découverte remarquable. Mais pire, le fait de ne pas avoir publié depuis un certain temps est plutôt un élément de défiance vis-à-vis de ce scientifique dans d’autres discipline ou aurait un impact sur son accès au téléscope.En outre, en ne montrant ni la publication de leur résultat ni l’évaluation de leurs travaux par la communauté scientifique, on a l’impression que les propos des héros est d’abord contre-dit par les autres scientifiques avant qu’iels acceptent/confirment les faits. De fait, certain·es spectateurices l’ont vu comme une validation du fait de suivre certain·es scientifiques dont le discours contre-dit le consensus scientifique.
Cela amène la question de quels scientifiques écouter ? En effet, on peut toujours trouver des chercheureuses qui porteront un discours à l’encontre du consensus scientifique. Ça rentre dans le cadre du débat scientifique et permet de modifier consensus scientifique pour une meilleure connaissance du monde. Mais lorsque que ce type de discours sort du débat scientifique pour entrer dans le débat public, c’est plus problématique. Le discours scientifique est alors dilué et les avis des scientifiques sont tous mis au même niveau. Ce serait ainsi à toutes et tous de trancher qui on pense « avoir raison » (et le plus souvent la personne dont l’avis est le plus en accord avec nos idées).
Autres réflexions en vrac autour du film
La limite de l’analogie de l’astéroïde
Si la plupart des spectateurices ont compris que l’astéroïde était une allégorie pour le changement climatique (bien que ça marche aussi pour la pandémie), ce choix n’est pas sans poser des problèmes dans la façon de représenter cette crise. Le problème principal est que la temporalité de la crise, mais également la complexité de la réponse à apporter. Alors ce choix scénaristique se comprend pour avoir un scénario plus simple et comprendre facilement les enjeux.
Mais la crise climatique (et la crise sanitaire) n’est pas un événement isolé avec une temporalité future. C’est un continuum qui nécessite des réponses multiples et diverses. Si avec le temps qui passe, on perd des possibilités de limiter les conséquences et les effets des crises, il est tout de même toujours possible d’avoir des actions pour limiter les crises. Pour mieux comprendre le souci de cette analogie, je vous invite à lire ce thread :
Un film centré sur les USA
Le dernier point que je souhaitais aborder sur ce film est que l’histoire est centrée sur les États-Unis. Encore une fois, ça simplifie le scénario et c’est assez classique dans les films états-uniens. Mais dans le cas d’une crise mondiale, la réponse se doit d’être globale. Dans le cas de la crise climatique, ce sont le rôle des COP. Il est peu crédible dans un monde avec autant de programmes spatiaux, il n’y a qu’une autre tentative de dévier l’astéroïde et uniquement après l’échec de celle du milliardaire. Bien sûr, encore une fois, ça sert le propos du film en le simplifiant, mais en même temps coupe l’immersion (surtout des spectateurices non étasunien·es).
Et au final, c’est ce côté défétiste qu’il est trop tard ou que nous ne pouvons rien contre les choix des gouvernements ou des magna des nouvelles technologie qui ressort du film. C’est ce qui est le plus dommage, on se convainc que nous faisons partie de celleux qui voient la catastrophe arrivé mais que nous puvons rien y faire.
Quel est ton avis sur le film ? T’a-t-il plus ? Discutons-en dans les commentaires !
D’autres ressources pour alimenter la réflexion sur le film
L’emission d’Arrêt sur Image sur le film du 7 janvier 2022 (offert par les abonné·es)
« Don’t Look Up » : la satire peut-elle conduire à un sursaut ? par Valérie Masson-Delmotte sur The Conversation (6 janvier 2022)
En anglais
‘Don’t Look Up’: Hollywood’s primer on climate denial illustrates 5 myths that fuel rejection of science par Gale Sinatra et Barbara K. Hofer sur The Conversation (5 janvier 2022)
Avis
Si le film est une bonne critique des dérives de notre monde, il ne m’a pas fait rire. Peut-être justement parce qu’il me rappelle trop le monde dans lequel je vis. Il a tout de même un effet catartique de voir sur l’écran ce qu’on ressent. En plus, j’ai trouvé le film avait des longueur surtout sur au moins la dernière demie-heure. Du coup, si le film n’est pas mauvais, je ne l’ai pas pour autant trouver excellent au visionnage. Et après réflexion, ses défauts m’ont de plus en plus sautés aux yeux.
Note perso
Don’t Look Up: Déni cosmique, 2021
D’Adam McKay
Avec Leonardo DiCaprio, Jennifer LAwrence, Meryl Streep …
Film étasunien
Durée 2h18
La bande annonce en VF :